Grigori Raspoutine

par damino - 6742 vues - 0 com.
Crime, criminel, complot, guerre.

Grigori Raspoutine

Grigori Raspoutine, vers 1900.doté d'une grande aura.

Biographie

Des origines mystérieuses

La plupart des archives ayant été détruites, même l’année de sa naissance est sujette à caution. La Grande Encyclopédie soviétique parle de 1864 ou 1865. Il a souvent été dit que « Raspoutine » était un surnom, issu de l’adjectif russe raspoutnyi (распутный) signifiant à l'origine "débâcle" (fonte des eaux après le dégel), puis débauché. Dans une biographie de Raspoutine, l’écrivain et historien russe Edvard Radzinsky affirme que les documents officiels des archives de Tioumen, en Sibérie, contiennent un recensement des habitants de Pokrovskoïe qui mentionne clairement le nom de Raspoutine, qui serait donc son vrai nom.

En 1995, l’historien russe Oleg Platonov (en) se penche sur la question de Raspoutine à la suite d'une demande du clergé (par la voix du métropolite Yoann), désireux de tirer les choses au clair sur ce mystérieux personnage. Il publia donc en 1996 à Saint-Pétersbourg une étude intitulée Une vie au service du Tsar : la vérité à propos de Raspoutine. Si presque tous les livres d’époque ont disparu[réf. nécessaire], Platonov a tout de même mis la main sur de nombreux renseignements relatifs aux baptêmes, mariages et décès dans le village de Pokrovskoïe entre 1862 et 1868.

Iefim Iakovlevitch Raspoutine et Anna Vassilievna Parchoukova, les parents de Grigori, se sont mariés à Pokrovskoïe le 21 janvier 1862 à l’âge de, respectivement, 20 et 22 ans. Une petite Evdokia naît le 11 février 1863 et meurt quelques mois plus tard, puis une nouvelle fille appelée elle aussi Evdokia vient au monde le 2 août 1864. Elle non plus ne survit pas. Une autre fille, prénommée Glikerya, naît le 8 mai 1866 et décède 4 mois plus tard. Le 17 août 1867 naît le premier fils, qu’ils appellent Andreï et qui ne survit pas non plus. En 1868, les livres d’église ne font mention d’aucune naissance dans la famille, ce qui veut dire que Raspoutine n’est pas né avant 1869. Après 1868, il n’y a pas de registres consultables, mais il existe encore certains formulaires originaux remplis pour un recensement de tout l'Empire. Le recensement de 1897 est soigneusement fait ; au nom de Grigori Iefimovitch Raspoutine, il est indiqué qu’il était dans sa 28e année et son année de naissance est indiquée : 1869. Il n’y a pas d'autre précision sur sa naissance. Pour Yves Ternon, qui s’en tient à 1863 ou 1864, il naquit « sans doute le dix janvier, jour que l’Église orthodoxe dédie à Grégoire de Nicée »4 ».

S’il est vrai que le nom de famille « Raspoutine » est bien mentionné dans certains registres, il est en outre clairement indiqué le nom de baptême du père de Raspoutine : Novykh (Новых)5. Par ailleurs, dans les archives consultées par Platonov, pas moins de sept familles du même village étaient appelées Raspoutine. L’historien rappelle alors qu’outre « débauché », le mot raspoutine signifiait également, à l’époque, « croisée des chemins » ou « carrefour » et était donc fréquemment utilisé comme surnom pour ceux qui habitaient de tels endroits. D’après le célèbre dictionnaire de Vladimir Dal, le Dalia (Даля), publié entre 1863 et 1866, Raspoutine (Распутье) est un « chemin de voyage, une fourche, un échange de voies, une place où se croisent ou se séparent les chemins, un carrefour » (разъездная дорога, развилина, развилы пути, место, где сходятся или расходятся дороги, перекресток). De surnom, Raspoutine se muait souvent en nom de famille, ce qui fut probablement le cas avec la famille d'Iefim. Aujourd’hui encore, Raspoutine est d’ailleurs un nom qui se rencontre en Sibérie.

Sa jeunesse

Très religieuse, sa mère, Anna Vassilievna Parchoukova, et son père, Iefim Iakovlevitch Raspoutine, étaient fermiers dans le village sibérien de Pokrovskoïé, du district de Tioumen, dans la province de Tobolsk, à 2 500 km à l’est de Saint-Pétersbourg : son père n'est pas un simple moujik car il est propriétaire de sa ferme, de sa terre, de vaches et de chevaux. La légende veut que le 10 janvier 1869, un météore ait traversé le ciel au-dessus du village de Pokrovoskoïé, et ce phénomène annonça, disait-on, la venue au monde d’un personnage exceptionnel. Une autre légende veut que son père, maquignon-voiturier, s’occupait de chevaux avec qui il entretenait des rapports magiques. Dès son enfance, Grigori manifeste des dons de guérisseur et de voyant6.

La vie était rude, l’existence rustique, la vodka une boisson courante, l’instruction existait peu dans les campagnes7. Grigori n’apprendra les rudiments de la lecture et de l’écriture qu’au cours de ses voyages, à l’âge adulte, mais certaines personnes lui trouvaient un pouvoir d’apaisement, voire de guérison, sur les animaux6.

À la suite d'une chute accidentelle dans les eaux glacées d’une rivière alors qu’ils jouaient ensemble, son frère aîné, Andreï et lui, qui s’est jeté à l'eau pour le secourir, sont victimes d’une pneumonie dont son frère meurt. Grigori guérit de sa fièvre ardente mais traverse des périodes de dépression et de surexcitation incontrôlables. Il aide son père dans les travaux de la ferme et conserve de cette enfance les manières frustes des paysans sibériens7, les vêtements amples et peu soignés, et les mains calleuses7.

Dès l’âge de seize ans, il est sujet à des crises mystiques et des apparitions mariales, à la suite de la vision d’un ange lumineux apparu dans la campagne. Il se plonge dans la lecture de la Bible, au point d’en devenir un exégète. Il pratique l’ascétisme : parfois il reste trois semaines reclus dans la cave de son père et lorsqu’il en ressort, les paysans vont au devant de lui pour recueillir ses oracles. Pendant quinze ans, il alterne la vie de paysan moujik au village et des retraites dans des monastères où il rencontre les startsy pour suivre leur enseignement, mais il fait aussi preuve de débordement d’énergie et de pulsions diverses dont une sexualité débordante qu’il assouvit facilement8.

En 1888, à l’âge de dix-neuf ans, il épouse une jeune paysanne du village de Doubrovnoïé, Praskovia Feodorovna. Cinq enfants naissent de ce mariage : Mikhail et Georguiï décèdent prématurément, Dimitri, né en 1895, Maria en 1898 et Varvara en 1900. Malgré de multiples incartades sexuelles, il revient toujours auprès de son épouse.

Vie d’errance

En 1894, alors qu'il travaillait dans les champs, il aurait eu la vision d'une Vierge lumineuse. Makari, un moine ascète à qui il en parle et qu'il considère comme son père spirituel, lui conseille alors d'abandonner son métier de fermier, de se plonger davantage dans la religion et de se rendre au mont Athos, en Grèce. Il décide de s'y rendre et quitte sa femme pour un voyage à pied de plus de 3 000 km qui dure plus de dix mois ; mais les moines du mont Athos le déçoivent. Sur la route du retour, il fait halte dans de nombreux monastères et c'est plus de deux ans après son départ qu'il retrouve sa femme et son jeune fils Dimitri, né en 1895.

Cependant, il continue à vivre des périodes de mystique et d'ermite, parcourant la Sibérie occidentale et survivant grâce à la prédication, la charité et à l'aumône, frappant aux portes des monastères et acquérant au fur et à mesure de ses pérégrinations une réputation de sage et de guérisseur : « Ce n'est pas moi qui guéris, c'est Dieu ».

Il effectue de nombreux pèlerinages, particulièrement à Kazan et à Kiev ; les gens commencent à venir de toute la région pour écouter ses prêches. Le clergé orthodoxe s'inquiète de son succès, mais ne peut rien trouver à y redire. De plus en plus de fidèles viennent à ses réunions, amenant des malades sur lesquels il exerce ses talents de guérisseur. Sa réputation s'étend mais en même temps, il continue une vie de débauché, de buveur, de bagarreur, de séducteur et même de voleur.

Durant toutes ces années, il entre en contact avec de multiples sectes qui fleurissaient sur le terreau de la religion orthodoxe. Il est notamment chargé d'accompagner un jeune moine au monastère de Verkhotourié, où il séjourne trois mois. Ce cloître est en réalité tenu par la secte des khlysty qui mêlent, par la danse, la flagellation (d'où leur nom de Flagellants) et l'extase, l'érotisme et la religion... ce qui lui convient parfaitement. Son mysticisme devient doctrinaire et le conduit à l'élaboration d'obscures théories sur la régénération par le péché (son plus célèbre précepte est « Pour se rapprocher de Dieu, il faut beaucoup pécher »9) et les excès en tous genres. Il aurait été un étudiant de cette secte mais sans jamais y avoir été initié, y perfectionnant son don pour l'hypnose et la magie10.

L’arrivée à Saint-Pétersbourg

À l'invitation de la grande-duchesse Militza, qui l'avait rencontré à Kiev, il décide de se rendre à Saint-Pétersbourg, capitale de l'Empire russe depuis Pierre le Grand. L'empereur Nicolas II règne depuis 1894. En cours de route, à Sarov, il assiste à la canonisation du moine Séraphin de Sarov, et devant l'assistance réunie, Raspoutine entre en transe et prédit la naissance d'un héritier mâle au trône impérial. Le 12 août 1904 naît le tsarévitch Alexis, atteint d'hémophilie.

Arrivé au printemps 1904 à Pétersbourg, il demande l'hospitalité à l'évêque Théophane, inspecteur de l'Académie de théologie de la capitale, qui l'aide par des lettres de recommandation. Son but était de rencontrer Nicolas II, trop occidentalisé à ses yeux, pour l'initier à la véritable âme russe7. Son protecteur, le vicaire de Kazan, lui avait remis une lettre de recommandation destinée à l'évêque Sergui, qui s'inquiétait aussi de la « crise spirituelle qui minait la Russie ».

Conquis par Raspoutine, l'évêque le prit sous sa protection et le présenta au patriarche Théophane de Poltava, confesseur de'Alexandra Fedorovna, au père Jean de Kronstadt, et à l'évêque Hermogène de Saratov (en). Tous furent stupéfaits par la ferveur religieuse de Raspoutine et par son talent de prédicateur. Ils le bénirent, le considérèrent comme un staretz, voire comme un « envoyé de Dieu », et l'introduisirent auprès de la grande-duchesse Militza et de sa sœur la grande-duchesse Anastasia, filles du roi Nicolas Ier du Monténégro – elles étaient mariées à deux frères, respectivement le grand-duc Peter Nicolaïévitch et le grand-duc Nicolaï Nicolaïevitch, cousins d’Alexandre III – cependant Raspoutine retourna dans son village sibérien et ne revient à Pétersbourg qu’en 1905.

Auprès de la famille impériale

La famille impériale

La tsarine attirait autour d'elle de nombreux mystiques, comme Maître Philippe ou Papus. Elle fut séduite par Raspoutine, d'autant plus qu'un ancien prédicateur français, qui lui avait annoncé quelques années auparavant la naissance de son fils Alexis, lui avait annoncé la venue d'un autre grand prédicateur qu'il avait nommé « Notre Ami »7. Une audition auprès de l'archiprêtre thaumaturge Jean de Cronstadt convainc ce dernier de l'authenticité de ses pouvoirs10.

Par l'entremise de la grande-duchesse Militza et de sa sœur, la grande-duchesse Anastasia, le staretz est présenté à la famille impériale in corpore dans le palais Alexandre, le 1er novembre 1905, où il offre des icônes à chacun. Le tsarévitch Alexis souffrant d'hémophilie, Raspoutine demanda à être conduit au chevet du jeune malade, lui apposa les mains, lui raconta plusieurs contes sibériens et serait parvenu ainsi à enrayer la crise et à le soulager. Selon certains, cela s'expliquerait par le simple fait que la médecine de l'époque ignorait les propriétés de l'aspirine qui était donnée au jeune malade. Ce médicament est un anticoagulant et donc un facteur aggravant de l'hémophilie. Le simple fait de balayer la table et de jeter les « remèdes » donnés au malade — dont l'aspirine — ne pouvait qu'améliorer son état11.

Les parents furent séduits par les dons de guérisseur de cet humble moujik qui semblait aussi avoir celui de prophétie. Alexandra se convainquit que Raspoutine était un messager de Dieu, qu'il représentait l'union de l'empereur, de l'Église et du peuple et qu'il avait la capacité d'aider son fils par ses dons de guérisseur et par sa prière.

Sa réputation permit à Raspoutine de se rendre indispensable ; il prit très vite un ascendant considérable sur le couple impérial. Invité à de nombreuses réceptions mondaines, il fit la connaissance de nombreuses femmes riches. Raspoutine inquiète et fascine. Son regard perçant est difficile à soutenir pour ses admiratrices et beaucoup cèdent à son charme hypnotique, et le prennent pour amant et guérisseur12..

L'une d'entre elles, Olga Lokhtina, épouse d'un général influent mais crédule, devint sa maîtresse, le logea chez elle et le présenta à d'autres femmes d'influence, comme Anna Vyroubova, amie et confidente de l'impératrice, et Mounia Golovina, nièce de celle-ci. Grâce à d'habiles mises en scène, il se produit à Saint-Pétersbourg ou au palais impérial de Tsarskoie Selo, la résidence principale de l'empereur, dans des séances d'exorcisme et de prières. Des récits de débauches, prétendues ou avérées, commencent alors à se multiplier et à faire scandale.

En 1907, le tsarévitch, à la suite de contusions, eut des hémorragies internes que les médecins n'arrivaient pas à contrôler et qui le faisaient énormément souffrir. Raspoutine fut appelé en désespoir de cause, et après avoir béni la famille impériale, il entra en prière. Au bout de dix minutes7, épuisé, il se releva en disant : « Ouvre les yeux, mon fils. » Le tsarévitch se réveilla en souriant et, dès cet instant, son état s'améliora rapidement.

Dès lors, il devient un familier de Tsarskoie Selo, et est chargé de veiller sur la santé de la famille impériale, ce qui lui donna des entrées permanentes au palais. Il est reçu officiellement à la Cour. Cependant, malgré la pleine confiance de l'empereur, il se rendit vite très impopulaire auprès de la Cour et du peuple et fut vite considéré comme leur « mauvais ange ». Il était à la fois aimé, détesté et redouté, alors qu'il ne se préoccupait pas de s'assurer une fortune personnelle, le seul luxe qu'il s'accordait étant une chemise de soie confectionnée par Alexandra, et une magnifique croix également offerte par l'impératrice qu'il portait autour du cou.

Il continuait toujours à mener une vie dissolue, de beuveries et de débauches, et il conservait ses cheveux gras et sa barbe emmêlée12. Raspoutine organisait des fêtes dans son appartement, le sexe (jusqu'à dix relations sexuelles par jour10) et l'alcool en étaient les éléments primordiaux. Il prêchait sa doctrine de rédemption par le péché parmi ces dames, qui étaient impatientes d'aller au lit avec lui pour mettre en pratique sa doctrine, ce qu'elles considéraient comme un honneur7.

Après la révolution de 1905, Raspoutine se heurte aussi au président du Conseil Piotr Stolypine. Nommé en juillet 1906, réformateur énergique, celui-ci voulait moderniser l'Empire russe, en permettant aux paysans d'acquérir des terres, en organisant une meilleure répartition de l'impôt et en accordant à la Douma, le parlement russe, davantage de pouvoirs. Par une répression féroce, il endigua les vagues d'attentats, améliora le système ferroviaire et augmenta la production de charbon et de fer. Cependant, Stolypine ne comprenait pas l'influence de ce moujik mystique sur le couple impérial, tandis que Raspoutine reprochait au Premier ministre sa morgue, caractéristique de la classe des grands propriétaires terriens dont il était issu7.

Lors de l'affaire des Balkans, en 1909, Raspoutine se rangea dans le parti de la paix aux côtés de l'impératrice et d'Anna Vyroubova contre le reste du clan Romanov. Raspoutine pensait que l'armée impériale était sortie affaiblie de la défaite de 1905 contre le Japon et n'était pas prête à se lancer dans un nouveau conflit. Il ne put arrêter les événements, mais lorsque la France et le Royaume-Uni intervinrent contre la Russie, il réussit à convaincre Nicolas II de ne pas étendre le conflit à toute l'Europe7.

Le président du Conseil Stolypine fit surveiller Raspoutine par l'Okhrana, la police secrète. Les rapports accablèrent le staretz (le scandale Raspoutine éclata en 1910 lors d'une campagne de presse orchestrée par des députés de la Douma et des religieux, dénonçant la débauche de Raspoutine et visant indirectement le tsar12) et, en 1911, Raspoutine fut écarté de la cour et exilé à Kiev mais, lors d'une transe, il prédit la mort prochaine du ministre : « La mort suit sa trace, la mort chevauche sur son dos ». Il décida alors de partir en pèlerinage vers la Terre sainte, mais revint à la Cour dès la fin de l'été.

Le 14 septembre 1911, alors que Stolypine venait d'autoriser les paysans à quitter le mir, leur permettant ainsi d'accéder à la propriété individuelle de la terre, et que cette réforme était acclamée à travers toute la Russie, le premier ministre fut assassiné par le jeune anarchiste Dmitri Bogrov, à l'opéra de Kiev, en présence de la famille impériale, des ministres, des membres de la Douma et de Raspoutine. Cet assassinat marqua la fin des réformes, alors que la situation internationale devenait instable.

Lors le 2 octobre 1912, le tsarévitch Alexis, en déplacement en Pologne, par suite d'un accident, fut victime d'une nouvelle hémorragie interne très importante, risquant d'entraîner sa mort. Raspoutine, aussitôt averti, se mit en extase devant l'icône de la vierge de Kazan, et quand il se releva, épuisé, il expédia au palais le message : « N'ayez aucune crainte. Dieu a vu vos larmes et entendu vos prières, Mamka13. Ne vous inquiétez plus. Le Petit ne mourra pas. Ne permettez pas aux docteurs de trop l'ennuyer ». Dès la réception du télégramme, l'état de santé du tsarévitch Alexis se stabilisa et, dès le lendemain, commença à s'améliorer, l'enflure de sa jambe se résorba, et l'hémorragie interne s'arrêta. Les médecins purent bientôt le déclarer hors de danger, et même les plus hostiles au staretz durent convenir qu'il s'était produit là un événement quasi miraculeux de guérison à distance. Sauveur, il revint triomphalement à Saint-Pétersbourg.

La Grande Guerre

« Raspoutine en caftan noir, avec sa tignasse hirsute, sa barbe noire, son regard doux et insoutenable » (portrait du diplomate Maurice Paléologue).

Derrière le démembrement de l'Empire ottoman et la question des Balkans se mettaient en place les conditions d'une guerre générale. Raspoutine et ses alliés de la paix freinaient la marche de la Russie vers la guerre. Le Secret Intelligence Service estime qu'il est en effet en lien avec le banquier Serge Rubinstein et ses réseaux allemands14. Le 29 juin, Raspoutine est poignardé par une mendiante, Khionia Gousseva, une ancienne prostituée, au sortir de l'église de son village sibérien. L'enquête démontra que l'ordre était venu du moine Iliodore qui lui reprochait ses croyances khlysty.

Après cet attentat et son rétablissement, l'importance de Raspoutine devint primordiale et son influence s'exerça dans tous les domaines ; il intervenait dans les carrières des généraux, dans celle des métropolites et même dans la nomination des ministres, mais la peur l'avait envahi. Il se mit à boire encore plus d'alcool, à participer à encore plus de soirées de débauche et d'orgies dans les cabarets tsiganes7. ; il n'était plus le staretz ascétique que tout le monde respectait. Cependant, malgré sa débauche et son aspect de moins en moins engageant, ses conquêtes féminines furent de plus en plus nombreuses dans la haute société.

Le 1er août, l'Allemagne déclara la guerre à la Russie. Le patriotisme russe s'exalta — surtout en raison des premiers succès militaires — et Raspoutine vit sa faveur décliner. La situation militaire se détériora : hiver rigoureux, manque d'armement, d'approvisionnement, commandement indécis. Nicolas II, décidé à prendre la situation en main, s'installa sur le front, laissant la régence à son épouse et à son conseiller privé, Raspoutine.

Ce dernier se créa alors de plus en plus d'ennemis, en particulier chez les politiques, les militaires et dans le clergé orthodoxe qui, au début, l'avait pourtant bien reçu mais que son inconduite révoltait. Les pires calomnies se répandaient en même temps que la guerre tournait au désastre. En 1916, à la Douma, l'impératrice (d'origine allemande) et Raspoutine furent ouvertement accusés de faire le jeu de l'ennemi.

L’assassinat de Raspoutine

Photographie du cadavre de Raspoutine montrant la trace de la balle tirée à bout touchant dans le front.

L’historien Edvard Radzinsky a pu donner les détails de cet assassinat grâce aux archives de la Commission extraordinaire de 1917 et le dossier secret de la police russe15.

La famille Romanov, jalousant les faveurs dont bénéficie Raspoutine, choquée par sa réputation scandaleuse, ses débauches, dans lesquelles des noms de femmes de la haute noblesse sont mêlés, s'oppose de plus en plus ouvertement au staretz. De plus, en pleine guerre mondiale, le bruit court qu'il espionnait pour l’Allemagne. Plusieurs complots se trament contre la vie du moine sibérien.

Une conjuration aboutit à son assassinat dans la nuit du 16 au 17 décembre 1916 alors qu'il était l'invité du prince Félix Ioussoupov époux de la grande duchesse Irina, nièce du tsar. Parmi les principaux conjurés se trouvent le Grand-duc Dimitri Pavlovitch, cousin de Nicolas II, le député d'extrême droite Vladimir Pourichkevitch, l'officier Soukhotine et le docteur Stanislas Lazovert. Ioussoupov, chez qui est commis l'assassinat, publia, en 1927, le récit détaillé mais un peu arrangé16.

Le 16 décembre 1916 à Petrograd, Raspoutine est invité à un dîner chez le prince Ioussoupov, sous prétexte de lui faire rencontrer l'épouse du prince[réf. nécessaire], Irina Alexandrovna (elle sera en fait absente) réputée pour être l'une des plus belles femmes de toute la Russie. Par ailleurs, le prince Félix Ioussoupov était lui-même un très bel homme. Il est dit qu'une relation étrange unissait Raspoutine au prince[réf. nécessaire]. Au cours du dîner, tandis que Ioussoupov dînait seul avec Raspoutine et que les autres conjurés attendaient à l’étage, on sert à Raspoutine plusieurs plats fortement épicés, trois gâteaux à croûte de chocolat et beaucoup de vin. Dans les gâteaux et le vin, on a glissé une dose de cyanure de potassium suffisante, selon Ioussoupov, pour tuer dix hommes. Alors que le dîner s’achève, Raspoutine, qui a englouti la nourriture sans paraître incommodé, commence à réclamer davantage à boire, affirmant que son estomac le brûle et qu’il respire mal. Il boit beaucoup de vin pur, très vite, et se sentant mélancolique demande à Ioussoupov de lui chanter en s’accompagnant d’une guitare des chansons tsiganes. Éberlué, le prince s’exécute et Raspoutine se laisse aller à la tristesse, car il était un homme d'une sensibilité exacerbée. Pendant ce laps de temps, le prince déplorait de voir Raspoutine en excellente santé. Il est retourné plusieurs fois à l'étage parler aux autres conjurés. Il a raconté plus tard avec force détails les conditions dans lesquelles se sont déroulées le repas7.

Mais l'empoisonnement est un échec : le cyanure était placé dans une pâte à gâteau. Or la chaleur de la cuisson a pu entraîner une réaction chimique de complexation entre le cyanure et le sucre (formation de cyanhydrate de glucose) qui le rend inactif pendant quelque temps et ralentit fortement son effet. D'autres sources avancent que Raspoutine se serait préparé à un éventuel empoisonnement par une pratique de mithridatisation. Néanmoins, si l'on en croit les conclusions de l'autopsie, on n'a pas retrouvé de poison dans le corps de Raspoutine. Le docteur Lazovert, chargé par les conjurés de donner du cyanure, est revenu dans une lettre sur ses déclarations[réf. nécessaire]. Il a affirmé s'être rappelé au dernier moment du serment d'Hippocrate, et avoir donné en lieu de poison un liquide quelconque.

À trois heures du matin enfin, Raspoutine paraissant somnoler, Ioussoupov pense que l'empoisonnement a échoué et monte à l'étage pour demander conseil. Après avoir pensé à l’étrangler, Ioussoupov descend décidé à utiliser son revolver. Ioussoupov lui présente un crucifix en cristal, lui dit de prier et, au moment où le moine entame son signe de croix, lui tire une balle en pleine poitrine. Raspoutine s’écroule. Les complices arrivent, on traîne Raspoutine hors de la pièce, enroulé dans la peau d’ours sur laquelle il s’est effondré, et on ferme la porte à clef17.

Plus tard, le prince prend le pouls qu’il ne trouve pas, vérifie qu’il est bien mort. Mais, au moment où il va sortir de la pièce, Raspoutine ouvre les yeux et « bondit, l’écume à la bouche » avant de tenter d’étrangler Ioussoupov, tandis que « le sang coule de ses lèvres », et scande le prénom de son assassin, Félix. Pourichkévitch accourt au son des cris alors que Raspoutine tente de sortir de la maison : selon ses mémoires, il tire quatre coups de feu (dont un dans le dos et un dans l'arrière de la tête, tirés à distance alors que l'autopsie18 montre le contraire) et Raspoutine s’abat sur le perron19. Le corps est rapporté à l’intérieur et Ioussoupov raconte : « ma tête éclatait, mes idées se brouillaient. La rage et la haine m’étouffaient. J’eus une sorte d’accès. Je me précipitai sur lui et commençai à le frapper avec une matraque de caoutchouc, comme si j’étais atteint de folie ». Un troisième tireur — l'autopsie montra qu'au moins trois pistolets différents furent utilisés —, plus expérimenté que les deux autres, tira précisément sa balle au centre du front à l'aide d'un revolver Webley. Une enquête basée sur les rapports du Secret Intelligence Service montre que les Britanniques redoutaient que Raspoutine veuille faire retirer les troupes russes engagées dans la Première Guerre mondiale et laisse entendre que ce tireur est l'officier du renseignement anglais Oswald Rayner (en)20. Vladimir Fédorovski, au terme d'une nouvelle enquête, avance dans Le Roman de Raspoutine que les balles furent tirées par le Grand-duc Dimitri Pavlovitch et par Oswald Rayner21.

Le corps fut roulé dans des rideaux, ficelé et les complices l’emmènent sur une l’île Petrovsky sur la Neva, d’où ils le lancent, du haut du pont dans la rivière glacée, fortement garrotté, en oubliant cependant de le lester. Il leur fallut alors descendre sur la glace qui recouvre la rivière, et trouver une brèche dans la couche gelée pour le glisser en dessous. C’est à cause d’une botte oubliée sur le pont qu’une enquête fut ouverte.

Le cadavre est retrouvé le 19 décembre 1916 au petit matin. Gelé et recouvert d’une épaisse couche de glace entourant le manteau de castor de Raspoutine, le cadavre est en effet remonté à la surface de la Neva au niveau du pont Petrovsky. L’album de photos de police exposé au musée d'Histoire politique de la Russie de Saint-Pétersbourg révèle le visage de Raspoutine défoncé par des coups et son corps avec quatre points d’impacts de balles qui ont traversé le cœur, le cou et le cerveau. L’autopsie, faite le jour même de la découverte du corps à l'Académie militaire par le Professeur Kossorotov, révèle que Raspoutine n’était mort ni du poison (l'estomac recelait « une masse épaisse de consistance molle et de couleur brunâtre » pouvant évoquer le poison qui n'est pas détecté lors de l'analyse chimique : complexation du cyanure avec le sucre, ce qui le rend indétectable ? Refus du docteur Stanislas Lazovert de fournir le poison, contraire au serment d'Hippocrate, et substitution avec un liquide inoffensifif22 ?), ni des balles, ni des commotions et des coups assénés — la présence d’eau dans les poumons prouve sans appel qu’il respirait encore au moment où on le jeta dans la petite Neva (Nevka). Plusieurs personnes ayant eu vent de la nouvelle vinrent récolter l'eau dans laquelle Raspoutine fut trouvé mort. Ils espéraient ainsi recueillir un peu de son pouvoir mystérieux23.

Raspoutine fut inhumé le 3 janvier 1917 — 22 décembre du calendrier russe — dans une chapelle en construction, près du palais de Tsarskoïe Selo.

Au soir du 22 mars, sur ordre du nouveau Gouvernement révolutionnaire, on exhume et brûle le corps de Raspoutine, et on disperse ses cendres dans les forêts environnantes. Mais, selon la légende, seul le cercueil brûla, le corps de Raspoutine restant intact sous les flammes7.

La légende

Raspoutine aurait prédit à la tsarine24 : « Je mourrai dans des souffrances atroces. Après ma mort, mon corps n'aura point de repos. Puis tu perdras ta couronne. Toi et ton fils vous serez massacrés ainsi que toute la famille. Après, le déluge terrible passera sur la Russie. Et elle tombera entre les mains du Diable. »sourcehttp://fr.wikipedia.org/wiki/Grigori_Raspoutine

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