Le mystère de la "pierre du Soleil"
Son existence était théorique : on en a découvert une, pour la première fois, dans une épave du 16e siècle. Ce cristal permet de déterminer la position du Soleil dans le ciel: était-ce la boussole des Vikings ?
HYPOTHÈSE. Les Vikings utilisaient-ils une « pierre du Soleil » pour diriger leurs bateaux ? Il s’agit d’un cristal qui, correctement orienté par rapport aux rayons lumineux, permet de retrouver la position de notre étoile dans le ciel. Même par temps couvert. L’archéologue Thorkild Ramskou a émis cette hypothèse en 1967, mais nulle preuve concrète n’a permis de l’étayer… Jusqu’à aujourd’hui ?
Une découverte sur un bateau anglais coulé le 4 novembre 1592
Le 4 novembre 1592, un navire de la marine anglaise fut victime d’une terrible tempête au large de Cherbourg. Des plongeurs ont tiré de son épave un petit caillou de 5 centimètres de long, que les siècles passés sous l’eau ont rendu presque totalement opaque. « Le plongeur qui a remonté cette pierre à la surface a même failli la remettre à l’eau, tant elle payait peu de mine », commente le physicien Guy Ropars. Il y a renoncé et le rhomboèdre a trouvé sa place dans un musée de l’île anglo-normande d’Aurigny (appelée Alderney de l’autre côté de la Manche).
Guy Ropars et son collègue Albert Le Floch (tout deux scientifiques au Laboratoire de physique des lasers de l’Université de Rennes 1) se sont penchés sur les caractéristiques de cette pierre. Leur étude a été publiée début mars dans Proceedings of the Royal Society A. Son verdict ? Il s’agit d’une calcite, qui se trouve à l’état naturel sous la forme d’un cristal à 6 faces, en forme de cube écrasé. Correctement orienté, ce « rhomboèdre » permet de déterminer la position du Soleil dans le ciel.
Pour déterminer, grâce à lui, la position du Soleil, « il suffit de placer le cristal devant son œil et de regarder le ciel », commente Albert Le Floch. En raison de ses propriétés optiques, la pierre va alors « dépolariser » les rayons lumineux qui la traversent : quand la lumière entre sur une face du rhomboèdre, elle forme deux points sur le côté opposé, où est placé l’œil de l’observateur. « Ces taches, parfaitement visibles, sont d’intensités lumineuses différentes. Qui varient quand on modifie la position du cristal dans l’espace, explique Guy Ropars. Il faut donc trouver le bon angle pour que les deux points brillent exactement de la même façon. La direction du Soleil est alors à 45° de l'axe optique du cristal ».
Et cela fonctionne même quand la lumière est très faible et que de gros nuages couvrent le ciel ! Bref, pile-poil le portrait-robot de la « pierre du Soleil » Viking. La découverte est d’importance : jamais, jusqu’à présent, on n’avait trouvé pareille relique dans l’épave d’un bateau !
Les doutes des historiens
Selon les deux chercheurs rennais, la calcite aurait donc pu être employée par les marins comme outil à la navigation, en complément du compas magnétique (le cristal de calcite a été retrouvé dans l'épave anglaise à côté d'un compas de navigation à pointes sèches). « Les compas et les boussoles étaient utilisés communément en Europe depuis le 12e ou le 13e siècle. Les marins savaient s’en servir mais ignoraient les raisons pour lesquelles cela marchait », reprend Albert Le Floch.
Un flamboyant "festival Viking" sur les îles Shetland, début 2013, qui a réuni des milliers de participants. Crédit DAVE DONALDSON/CATERS NEWS AGENCY/SIPA.
"AIL". Le fait que le compas magnétique s'oriente vers le Nord est dû à la Terre elle-même qui se comporte comme un gros aimant : cela n'a été établi qu'au début du 17e siècle. « Les navigateurs ne comprenaient pas pourquoi, de temps en temps, leurs boussoles perdaient le nord. Méfiants, ils interdisaient par exemple aux hommes ayant mangé de l’ail de s’en approcher ! ». Également équipés d’une « pierre de Soleil », les marins auraient donc pris leur précaution… Façon ceinture et bretelle !
Reste que la découverte d’une calcite sur un bateau anglais ne prouve pas que la pratique était un héritage des Vikings. Après tout, les marins nordiques sillonnaient l’Atlantique nord entre 900 et 1 200 après J.-C. : des siècles avant le naufrage du bateau anglais où l’on a trouvé la calcite !..
Les historiens spécialistes des Vikings demeurent d’ailleurs très circonspects par rapport à l’hypothèse de la « pierre du Soleil ». « C’est un vieux serpent de mer, commentait à ce sujet le spécialiste Régis Boyer, en mars 2011, dans Sciences et Avenir. Les « solarsteinn » n’apparaissent que dans quatre sagas sur les deux cents qui existent, et ce cristal y est considéré comme un bijou ! ». Mais après tout, beaucoup d'animaux et d'insectes utilisent depuis toujours la polarisation du ciel, notamment lors de leurs migrations. Bref, le mystère de la « Pierre de soleil » n’est pas encore totalement levé. Reste plus qu’à croiser les doigts pour que l’on déniche la prochaine… dans l’épave d’un bateau viking !
Source : http://sciencesetavenir.nouvelobs.com/decryptage/20130312.OBS1589/le-mystere-de-la-pierre-du-soleil.html