novembre 1983 : le monde au bord de la 3 eme guerre mondial!
elon un document déclassifié de l’Agence de sécurité nationale américaine (NSA), intitulé «American Cryptology During the Cold War», la «période 1982-1984 fut la période la plus dangereuse de la confrontation américano-soviétique depuis la crise des missiles de Cuba». Ce document secret raconte que «l’hystérie de la Guerre froide a atteint son sommet» à l’automne 1983, au cours d’un exercice de tir de missiles nucléaires de l’Otan baptisé Able Archer 83 qui, selon un rapport de renseignement de la CIA, a vu «des unités aériennes soviétiques stationnées en Allemagne de l’Est et en Pologne placées en état d’alerte maximum ainsi que le déploiement de forces de frappe nucléaires».
Malgré les conséquences éventuelles qu’aurait pu avoir cette escalade nucléaire imprévue, l’histoire de l’incident Able Archer 83 est resté pour une large part inconnu du grand public. Cette pénurie de sources a même poussé certains critiques –non sans raison– à décrire la peur d’une escalade en 1983 comme «une chambre d’écho de recherches inadéquates et d’analyses erronées» un «processus d’auto-intoxication» fondé sur «des éléments disparates».
Afin de tenter de remplir cette chambre d’écho, les archives de la Sécurité nationale ont commencé à mettre en ligne, en trois parties, la plus importante collection de documents concernant cet incident disponibles sur Internet. Ces documents ont été obtenus grâce au Freedom of Information Act (FOIA, loi sur la liberté d’information) et sont issus de la CIA, de la NSA, du Département de la défense et du Département d’Etat, des archives américaines mais également d’anciens documents déclassifiés du Politburo et du KGB, d’entretiens avec d’anciens généraux soviétiques et d’autres documents issus d’anciens Etats communistes.
Les dossiers mis en ligne contiennent un document particulièrement éclairant: le rapport de la 7e division aérienne américaine à l’issue d’Able Archer 83.
Ce rapport est le premier document officiel à décrire dans le détail le scénario de l’exercice Able Archer 83, qui prévoyait un glissement progressif d’opérations conventionnelles vers des opérations nucléaires. Il révèle en fait que les sources secondaires dont se sont inspirés les récits contemporains d’Able Archer 83 se sont même trompés sur les dates exactes de l’exercice (du 7 au 11 novembre 1983).
Ce rapport contient également d’autres détails éclairants sur l’exercice Able Archer 83 qui suggèrent que certains de ses éléments étaient clairement plus provocateurs que les exercices précédents. De tels changements auraient ainsi été mal compris par les organismes de renseignement soviétiques, alors sur le qui-vive, car préoccupés par la «décapitation» des missiles «Pershing II» qui devaient être déployés en Europe et poussèrent le Secrétaire général soviétique en place, Iouri Andropov à ordonner la plus importante opération de renseignement jamais effectuée en temps de paix: l’Opération RYAN. Leur mission? S’assurer de ne pas être en face d’une situation de Raketno-Yadernoye Napadenie, le nom de code d’une attaque nucléaire occidentale préventive, que les Soviétiques redoutaient tant.
Parmi les indices que quelque chose se préparait: le transfert, en silence radio complet, de 19.000 soldats américains vers l’Europe (cela s’était déjà produit lors de l’exercice conventionnel précédent et de plus grande ampleur, Autumn Forge 83), le déplacement du QG de l’Otan du «Quartier-Général Permanent vers le Quartier Général de Guerre Alternative», la mise en œuvre de nouvelles «procédure de mise à feu des armes nucléaires» dont des consultations avec des cellules à Washington et à Londres et «des questions politiques sensibles» posées par la désignation des nombreuses sorties de bombardiers B-52 comme autant de «frappes nucléaires».
Selon le scénario de l’exercice Able Archer 83, qui prévoyait une Troisième Guerre mondiale débutant en Europe centrale, le conflit entre les deux superpuissances était censé commencer avec, en toile de fond, «un changement à la tête de l’Union soviétique en février 1983», «une agitation grandissante en Europe de l’Est», et pour finir, l’invasion par le Pacte de Varsovie (baptisé «Pacte Orange» au cours de l’exercice) de la Yougoslavie après qu’elle aurait demandé l’aide économique et militaire de l’Occident.
Alors, le 3 novembre, les forces du Pacte Orange franchissaient la frontière finnoise, envahissaient la Norvège le lendemain et s’aventuraient en Allemagne de l’Est («les forces orange effectuent des attaques aériennes tout le long de la frontière allemande») puis s’attaquaient au Royaume-Uni («les attaques contre les aérodromes du Royaume-Uni interrompent les opérations des bombardiers et détruisent quelques appareils»).
Ne parvenant pas à empêcher la poussée des forces conventionnelles soviétiques, les forces bleues (l’Otan) «demandent l’emploi limité de têtes nucléaires contre des cibles fixes prédéterminées» au matin du 8 novembre. Mais «l’usage d’armes nucléaires par les Bleus ne mettant pas un terme à l’agression des forces orange», le Commandant suprême des forces en Europe (Saceur) opte pour une généralisation des attaques nucléaires. Le feu vert est donné le 11 novembre, date de la fin de l’exercice. A ce moment-là, on considère en effet qu’il n’y a plus rien à détruire.
La publication récente du rapport post-opération d’Able Archer 83 n’est pas sans ironie. Au moment même où l’Otan était en train d’effectuer un exercice mettant en scène un glissement d’un conflit conventionnel vers un conflit nucléaire, en Union soviétique, on plaçait les forces nucléaires en alerte maximale, craignant une frappe nucléaire préventive de l’Otan. La guerre nucléaire a bien failli avoir lieu. Tout cela à cause d’un exercice trop réaliste...