Elagabal, le pervers enfant de ch½ur
Élagabal ou Héliogabale (Varius Avitus Bassianus) (205 - 222) fut empereur romain de 218 à 222 sous le nom de Marcus Aurelius Antoninus.
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L’Empire Romain du troisième siècle n’a plus grand chose à voir avec l’idéal d’Auguste ou d’Hadrien, et la pax romana n’est plus qu’une antique nostalgie. Depuis 193, années ou trois empereurs avaient été assassinés, et où trois autres s’étaient battus à mort pour porter la pourpre et mener le monde, l’Empire avait tendance comme on a pu l’écrire à devenir une monarchie absolue tempérée par l’assassinat, « système » dont Caracalla, l’empereur fils d’un Africain et d’une prêtresse Syrienne, venait de faire les frais en 217. C’est dans ce monde encore splendide mais déjà délabré qu’Elagabal arrive à Rome - presque par hasard. Sa mère et sa grand-mère ont menti aux armées - qui font et défont les empereurs en ces temps troublés - en en faisant un fils illégitime de Caracalla, dont il est en fait le jeune cousin. Il arrive à Rome en 218 ap. J.-C. , il a quatorze ans, est vient d’être acclamé par les légions de Syrie. Son triomphe durera peu.
Par sa mère, prêtresse syrienne, le jeune garçon est le grand-prêtre d’une pierre noire immense, un aérolithe divinisé symbolisant Baal, le vieux dieu sanguinaire des carthaginois, dans l’un de ses innombrables avatars. La mascarade commence rapidement. Si Rome, depuis un siècle ou deux, ne s’étonnait plus guère des cultes les plus fous, et était devenu sans regrets le carrefour des dieux, l’entrée d’ Elagabal n’en fut pas moins la plus hallucinante qu’ait connu la Ville. Grassouillet et fardé, c’est à reculons et en psalmodiant dans la fumée de l’encens qu’Elagabal entra dans la cité, courbé vers son bétyle sacré, à moitié assommé par différentes drogues absorbées pour l’aider dans l’exercice sincère de son culte. Et cette pierre noire, c’est au Palatin, siège des vieilles divinités romaines, qu’il désira l’installer, façon de signifier que si les autres dieux n’étaient pas niés, ils n’étaient que des seconds dans l’ordre divin mené par sa pierre sacrée. Ce qui ne l’empêche pas de lui faire construire un autre temple, coûteux, sur l’emplacement de l’actuelle église Saint-Sébastien.
Tandis que sa bonne grand-mère, femme lettrée et savante mais avide d’or et de pourpre se prélasse (une femme ! Ce sera la seule de toute l’histoire de l’Empire) fardée et habillée à l’orientale sur les bancs du Sénat, dont elle est par décret la Mère Protectrice, tandis qu’une sévère épuration élimine les derniers partisans du précédent empereur, Macrin, sans gloire et au sein même de la Maison impériale, Elagabal s’adonne à son culte et use du pouvoir comme d’un monstrueux jouet. Pour son Dieu, Elagabal rejoue chaque soir et de façon bien terrestre les mariages du Soleil et de ses épouses de chair. L’Histoire Auguste, l’une des principales sources de la période, le dépeint ainsi, au cours d’une de ces troubles soirées d’orgies, nu, et dans quelle triomphantes dispositions, montant un char tiré par plusieurs femmes nues à quatre pattes. Il se murmure à Rome que la mère et la grand-mère d’Elagabal, qui l’ont porté là, ne répugnent pas à payer de leurs personnes dans ces dépravations. Sinistres espiègleries, débauches sanglantes.
On le dit homosexuel, et il joue là les deux rôles, aux yeux de tous, or l’on connaît le mépris romain pour la passivité dans les jeux de l’amour, quels qu’ils soient. Il fait littéralement chasser par ses émissaires des hommes aux membres virils démesurés afin d’en jouir, dit l’Histoire Auguste, par tous les orifices de son corps. Epilé totalement, il fait du théâtre, interprète le rôle de Vénus prise de force par d’autres dieux. Crime parmi les crimes, il viola une Vestale, prêtresse du culte romain de Vesta et destinée à rester toute sa vie vierge. Initié aux mystères de Cybèle, il reçoit le taurobole : le nouvel adepte, placé au fond d’une fosse, se baigne dans le sang d’un taureau que l’on égorge au dessus de lui. On lui prête des sacrifices humains d’enfants. La chose est plausible, quant on sait qu’au cours du siège de Carthage, bien plus tôt, les auteurs romains horrifiés rapportent qu’on sacrifiait à un gigantesque Baal creux dans lequel brûlait un brasier, des dizaines d’enfants encapuchonnés : le culte de Baal nécessitait ces horreurs, et pour dépravé que soit le culte au troisième siècle, il a pu garder ses aspect originels.
On viole, on tue dans ces baquets démentiels, les convives qui n’amusent plus l’empereur sont immolés sur les tables même, devant une assemblée entrée en transe au son des flûtes et des tambourins. Des dompteurs font entrer des lions dressés pour terroriser les convives, dont beaucoup ne sont là que par la force et afin d’être humiliés par les obscénités auxquelles ils sont contraints de participer. Néron, l’empereur dont la mémoire fut maudite, est battu à plate couture par ce gros adolescent tout-puissant. L’empereur poète, fut-il fou, savait gouverner ; Elagabal, lui, met un ancien cocher de cirque à la tête de la Préfecture du prétoire (seconde charge en termes de pouvoir, sinon de dignité après lui-même), on voit passer dans les couloirs du Palais des travestis, d’anciens esclaves, des gladiateurs promus mignons ou favoris à la faveur d’un beau combat, des coiffeurs habillés de la toge sénatoriale ! Des décrets ridicules sont pris sous l’influence des princesses syriennes, réglant un lourd cérémonial étranger à l’austérité romaine traditionnelle. Ces ridicules ne sont visibles que pour nous, à des siècles d’écart. Mais les milieux patriciens et surtout l’armée acceptent de plus en plus mal ces errances et ces outrances si éloignées de l’idéal augustéen du Prince, premier parmi ses pairs, en vertu et en dignité.
Dès lors, l’assassinat du bouffon couronné ne pouvait guère attendre. Sans doute sur les ordres de sa propre grand-mère, au cours d’une visite au camps des prétoriens (la division d’élite de l’armée, chargée de sa protection dans Rome !), il est abandonné de ses gardes du corps ; réfugié avec sa mère dans les latrines des troupes, il est assassiné avec elle, sur place à 18 ans ; son corps adipeux est décapité, humilié de mille façons, lacéré, déchiqueté à coups de glaives. Les corps, traînés derrière un char à travers les rues et sur toute la longueur du cirque, sont jetés aux égouts par la soldatesque en furie, et régurgité dans les eaux du Tibre. Avec lui périssent aussi ses proches, tous les débauchés compagnons de la triste aventure ; les soldats les tuent de toutes les façons, en leur coupant les parties génitales, en les empalant afin que leur mort fut en conformité avec leur vie.
Son règne n’avait duré que quatre ans et ne fut guère qu’un intermède bouffon, mais sanglant, au moment où Rome avait besoin d’un maître d’une autre trempe : aux frontières nord menaçaient les barbares germaniques ; à l’est, les Perses étaient plus que jamais la grande puissance d’opposition à l’Empire. Il n’a laissé dans l’histoire de l’Empire qu’un éclat de rire macabre. Sa biographie, dans l’histoire Auguste, écrite cent ans plus tard, commence ainsi : jamais je n’aurais composé la vie d’Elagabal, afin d’éviter que l’on sache qu’il fut un empereur romain, si avant lui ce même empire n’avait connu des Caligula, des Néron et des Vitellius . Ainsi finit Elagabal, en compagnie des empereurs honnis par la mémoire romaine.
Source : http://www.heresie.com/elagabal.htm