Les miracles, Lourdes et les probabilités
Les miracles, Lourdes et les probabilités Gerald Bronner |
Il y a des cas de rémissions rapportés par le comité médical international de Lourdes qui sont proprement miraculeux, comme celui D'Anna Santaniello, la 67° et dernière miraculée reconnue de Lourdes à ce jour (le caractère miraculeux de sa rémission fut officiellement déclaré le 21 septembre 2005).
Cette dame était sur son lit de mort en 1952, gravement atteinte par une maladie de Bouillaud officiellement diagnostiquée : elle était "grande cardiaque", incapable de se déplacer ou de parler, atteinte d'une cyanose de la face et d'un oedème descendant sur les jambes. Le pronostic vital était plus qu'engagé, d'ailleurs elle reçut le 27 juillet l'extrême-onction. Elle arrive à Lourdes sur une civière le 16 août 1952, et après son immersion dans l'eau "miraculeuse", elle guérit presque instantanément.
Elle se remet alors sur ses pieds et participe à des processions le soir même. Plusieurs médecins s'enquièrent de son état et l'auscultent, les symptômes pathologiques ont disparu : le coeur d'Anna Santaniello bat de façon stable et normalement alors qu'il avoisinait les 120 pulsations par minute avant sa guérison, exit la cyanose et la dyspnée, seul l'oedème aux membres inférieurs n'a pas tout à fait disparu. Mais il ne restera bientôt plus aucune trace de ses ennuis de santé.
Comme on le voit, il a fallu attendre longtemps avant qu'Anna Santaniello soit officiellement reconnue miraculée de Lourdes, malgré le caractère spectaculaire et authentifié de sa guérison. C'est que, contrairement à ce qu'on pourrait croire, les autorités catholiques ne délivrent pas facilement ce genre de "certificats". Le Vatican a compris, en effet, qu'il était important pour sa crédibilité de réguler les phénomènes miraculeux.
Pour cela, il a notamment mis sur pied, dès les années 1920, une commission de médecins dont l'objectif était, après enquête, d'y voir plus clair dans la masse de ceux qui postulaient au statut de miraculé. En fait, une commission avait été mise sur pied dès juillet 1858, mais elle ne comptait que des ecclésiastiques, incompétents à évaluer scientifiquement les témoignages qui leur parvenaient. Cette commission a donc, un temps, été une simple instance d'enregistrement de cas signalés. On observe d'ailleurs que, depuis l'instauration de cette commission de médecins, le nombre de miraculés a décru sensiblement, comme le montre le graphique suivant.
Plusieurs remarques sur ce graphique. D'abord, il permet de voir qu'un pic d'authentifications a eu lieu entre 1900 et 1920. Il faudrait faire une mention spéciale pour 1908, où vingt miracles ont été validés, ce qui constitue un record inégalé à ce jour. Un record très opportun il faut dire, car cette date correspondait au cinquantenaire des apparitions mariales à Lourdes. Ensuite, il fait apparaître que le nombre de miraculés chute vertigineusement entre 1920 et 1940, ce qui correspond à la mise en place d'une commission d'évaluation composée exclusivement de médecins. Enfin, ce graphique permet de constater que le nombre de miraculés diminue sensiblement à partir des années soixante. La encore, la rigueur accrue de la commission scientifique de Lourdes, qui devient internationale, et les progrès des connaissances médicales ne sont probablement pas étrangers au phénomène.
Devenir un miraculé de Lourdes, aujourd'hui, ressemble un peu à un chemin de croix. Il faut d'abord en passer par un entretien avec le médecin permanent du bureau médical des sanctuaires de Lourdes, Président de l'association médicale internationale de Lourdes qui comprend plus de 10 000 professionnels de santé dans plus de 75 pays. Il lui appartient d'opérer un premier tri parmi les quelques cinquante personnes qui postulent en moyenne chaque année au titre de miraculé. Les dossiers s'accumulent d'ailleurs depuis la création des archives du bureau médical en 1883, puisque sur 7012 déclarations, l'Eglise n'a reconnu que 67 miracles, soit même pas 1%.
Comme il l'explique lui-même1, la sélection qu'il opère dans les dossiers ne constitue que la première étape pour que le miracle soit authentifié. En effet, le dossier est ensuite examiné par une commission de médecins qui, si elle le juge suffisamment intéressant, avertit l'évêque de son diocèse. Dès lors, et c'est une troisième étape décisive, une fois accepté par le bureau médical, le dossier est entre les mains du comité médical international de Lourdes, où des spécialistes de nombreuses disciplines sont présents. Un spécialiste de la pathologie considérée se penche sur le dossier en profondeur avant de soumettre à la commission, par un vote majoritaire, la poursuite de son étude. La recherche initiale peut prendre plusieurs années. Le dossier qui est constitué est donc solide d'un point de vue scientifique. Il s'agit prioritairement de voir si cette guérison, supposée miraculeuse, ne peut pas s'expliquer par les voies normales de la science, ce qui nécessite de se familiariser avec les recherches les plus pointues dans le domaine.
Une dernière commission étudie enfin, avant de rendre officiel le caractère miraculeux de la guérison, le contexte religieux de la rémission. Il s'agit de voir si la personne s'est bien rendue à Lourdes dans une démarche de foi sincère qui pourrait éclairer ladite guérison.
Les critères que retient cette commission de médecins pour donner un avis favorable aux guérisons inexpliquées sont très sévères : la maladie doit être avérée et très grave avec un pronostic fatal, elle doit être organique ou lésionnelle (ce qui exclut les psychopathologies même les plus graves), et un traitement ne doit pas avoir été à l'origine de la guérison (ce qui exclut les guérisons de cancers, car la plupart font l'objet d'un traitement, même si celui-ci paraît inefficace), laquelle doit être soudaine et durable.
Tout ceci élimine la grande majorité des postulants. Il n'en reste pas moins que, malgré ce tamis serré, quelques dossiers parviennent à émerger.
Il reste des cas de guérisons à Lourdes qui demeurent inexpliqués dans l'état de la connaissance scientifique actuelle. Comme on le sait cependant, des concours de circonstances extrêmement improbables peuvent se manifester lorsque le nombre d'occurrences d'un phénomène est très grand. On est précisément, avec les miracles de Lourdes, dans un tel cas de figure. Songez seulement que depuis 150 ans que des pélérinages y sont organisés, on suppose que des centaines de millions de personnes s'y sont rendues ! On prétend en effet que 6 millions de pèlerins par an se rendent à Lourdes, soit 900 000 000 d'individus depuis 1958. Ce chiffre, cependant, doit être revu à la baisse, car il est probable que les 6 millions de pèlerins par an annoncés ont fluctué, ne serait-ce que parce que la notoriété du lieu a dû aller croissant. En outre, il est probable aussi que de nombreuses personnes se sont rendues plusieurs années de suite à Lourdes et sont donc comptabilisées plusieurs fois. Quoi qu'il en soit, une certitude demeure : pour évaluer le phénomène, il faut tenir compte du fait que, depuis 1858, un nombre impressionnant de personnes se sont rendues à Lourdes en espérant guérir d'une pathologie plus ou moins grave.
Ces considérations n'affaiblissent en rien le caractère inexplicable des rémissions dont il est question, elles soulignent seulement qu'une fois de plus, l'improbable ne se manifeste que soutenu par un nombre d'occurrences impressionnant. Le problème est que Lourdes n'a pas le monopole des guérisons inexplicables. Sans faire appel à la bonne volonté de Dieu ou de la Sainte Vierge, les milieux hospitaliers connaissent, eux aussi, le bonheur de voir certains de leurs patients, manifestement condamnés, guérir sans que leur médecin puisse l'expliquer.
A vrai dire, les cas de rémissions spontanés dans les milieux hospitaliers sont assez peu connus. Paradoxalement, ces guérisons ne semblent pas beaucoup intéresser les chercheurs. Ainsi, seules vingt publications annuelles dans le monde (en moyenne) évoquent et analysent ces cas, ce qui est peu. Il faut bien admettre que ces phénomènes sont assez rares. Brendan O'Regan et Caryle Hirshberg ont analysé de façon exhaustive les publications portant sur ce genre de guérisons de 1864 à 1992. Ce travail de titan les a conduit à lire des milliers de pages d'analyses sur la question, il fournit des données essentielles pour qui veut réfléchir à ce type de guérisons inexplicables. Ils ont recensé 1574 cas durant les 128 années étudiées. On notera d'abord que 70% de ces guérisons concernent un cancer, lequel peut toucher n'importe quel organe (bouche, gorge, larynx, organes respiratoires et intrathoraciques, peau, seins, yeux, système nerveux, etc.) Cela ne nous intéresse pas vraiment dans notre comparaison avec les miracles de Lourdes puisque, on s'en souvient, la Commission médicale internationale de Lourdes a tendance à ne pas considérer les cas de rémission d'un cancer, car il sont, la plupart du temps, précédés par une thérapie (il est donc difficile d'évaluer la part du miracle et celle du succès thérapeutique inespéré).
Sur les 1574, ce sont donc les 30% restants qui nous intéresseront, puisqu'ils donnent lieu à des guérisons qui pourraient être considérées comme miraculeuses par la commission de Lourdes. Parmi ces 30%, on observe des guérisons de maladies très diverses : elles peuvent toucher la vascularisation, les cellules de sang ou la moelle osseuse, les maladies infectieuses, le système digestif ou respiratoire, le système nerveux, les organes sensoriels, la peau les muscles, etc.
Le point qui nous intéressera le plus est que O'Regan et Hirshberg constatent que ces cas de guérisons surviennent à une fréquence estimée de 1 cas sur 100 000. Si l'on exclut de ces résultats les guérisons de cancers, on obtient 1 cas pour 333 333. Il existe quelques hypothèses pour rendre compte de ces guérisons inexplicables en milieu hospitalier. On a constaté, par exemple, que des infections avec forte fièvre, des réactions immunes ou allergiques étaient de nature à provoquer parfois ces guérisons. Le fait est que, dans l'état actuel de la médecine, nous ignorons presque tout de ce phénomène. La médecine n'est donc pas compétente pour éclairer les cas de guérisons miraculeuses, qu'elles aient lieu à Lourdes ou en milieu hospitalier. La question est donc de savoir si Lourdes, de ce point de vue, est en effet une terre d'élection du miracle.
La simple comparaison des chiffres apporte une réponse : non.
Même s'il est difficile d'apprécier les taux de convalescence miraculeuses en milieu hospitalier par rapport à ceux qui surviennent à Lourdes, Une comparaison approximative ne permet pas de mettre en relief une différence qui serait en faveur du lieu saint.
Nous savons qu'il y a 67 miracles authentifiés pour des centaines de millions de visiteurs depuis 1858. Nous avons vu qu'il est possible de supposer que certains reviennent plusieurs fois à Lourdes. Imaginons que 300 000 000 personnes se soient rendues à Lourdes depuis les apparitions mariales (au lieu des 900 000 000 supposés : 6 000 000 de visiteurs par an, depuis près de 150 ans). Il y aurait donc une guérison miraculeuse tous les 4 500 000 visiteurs environ. Il est vrai que toutes les personnes bénéficiant d'une guérison miraculeuse ne se manifestent peut-être pas, par crainte d'une publicité excessive ou de la lourdeur des démarches administratives, et on peut ajouter que tous les visiteurs de Lourdes ne sont pas forcément atteints d'une maladie grave. Ce ne sont donc pas 4 500 000 personnes qui sont concernées par la comparaison avec le milieu hospitalier, mais beaucoup moins. Une sur dix ? Moins sans doute. Mais il faut ajouter, pour être juste, qu'il conviendrait d'effectuer ces calculs sur les cas recensés depuis les années vingt, voire depuis les années soixante où les expertises paraissent devenir sérieuses ,ce qui ne serait pas favorable au lieu saint.
La conclusion est entachée d'incertitudes, mais on peut dire qu'avec 67 guérisons en un peu plus de 150 ans, Lourdes n'affiche pas de résultats plus impressionnants que ceux du milieu hospitalier. Seulement voilà, la publicité faite autour d'un miracle constaté à Lourdes est beaucoup plus importante que celle dont peut bénéficier une rémission en milieu hospitalier. Elle va donner lieu à des reportages télévisés, radiophoniques, et des articles de presse. Des interviews du ou de la miraculé(e) seront réalisées. On cherchera à en savoir plus : comment les choses se sont-elles passées ? Comme le récit sera objectivement extraordinaire, il va frapper les esprits. Il restera dans l'air comme une impression favorable au lieu saint.
Ces convalescences extraordinaires, cependant, ne permettent de conclure qu'une chose : il reste à la médecine beaucoup de progrès à faire, et la science des hommes est loin d'avoir éclairé tous les phénomènes naturels. Quant à l'intervention de Dieu, qui sait ? En tout cas, il ne semble pas pointer plus souvent son doigt à Lourdes qu'ailleurs.sourcehttp://www.charlatans.info/lourdes-miracles.php