Dole : L'absoute inachevée
La France a ses histoires secrètes : des châteaux hantés, des énigmes historiques, des récits insolites. Appartenant aux chroniques régionales de notre pays, ces récits tissent la trame serrée d'une histoire à la fois marginale et profonde. Ils en reflètent les traditions, les réalités et les fantasme d'hier, d'aujourd'hui et de demain. Dole fut au XVe siècle une ville martyre, théâtre d'un des plus effroyables carnages de notre histoire. La responsabilité en incombe à un grand seigneur de l'époque, conseiller intime de Louis XI, Charles d'Amboise, et aux soudards qu'il commandait.
POSSÉDÉ PAR L'ANGE DU MAL
Depuis trois mois, celui-ci, avec les troupes royales placées sous ses ordres, assiégeait vainement la cité comtoise. Le 25 mai 1479, enfin, le grand favori de Louis XI pénétra dans la ville à six heures du matin à la tête de ses hommes, avec « grand fracas et grandes rumeurs ». Une avant-garde composée d'Alsaciens venait de s'introduire dans la résidence préférée des ducs de Bourgogne « par ruse et félonie », la herse ayant été relevée et le pont-levis descendu. Un hurlement terrifiant, inhumain, se fit alors entendre : « Tuez-les tous ! ». Les sabots de l'étalon noir de Charles d'Amboise foulaient les pavés de Dole. Charles était d'allure plutôt fine et racée. Mais ses prunelles étincelantes, son sourire carnassier le trahissaient et inspiraient l'effroi. «C'est le Diable »,disaient les braves gens. « II est possédé par l'Ange du Mal », écrivirent les chroniqueurs. Prince diabolique, dont le seul nom faisait trembler des provinces entières, Charles le Satanique, comme on le désignait tout bas, était connu dans tout le royaume pour son goût du sang.
IL HURLAIT COMME UN DAMNÉ
Debout sur ses étriers, il entama une longue litanie de jurons et d'imprécations destinés à galvaniser ses soudards «Tuez-les tous !Qu'il n'en reste pas un !... Je veux voir le sang des Comtois couler comme une rivière dans les rues de Dole ! » Et il donna le signal de la tuerie en faisant sauter d'un coup de hache la tête d'une jeune femme. La sauvagerie et l'ampleur du massacre dépassèrent, et de loin, tout ce que l'on avait pu voir jusqu'alors. Quatre heures durant, on tua, viola, éventra, égorgea, fit éclater des crânes. Des familles entières furent passées au fil de l'épée. D'autres furent brûlées vives dans les caves où elles s'étaient réfugiées. « On pataugeait dans le sang, dans les boyaux et les débris de cervelle... » Soudain, comme las de tuer, les soudards perdirent de leur ardeur. Mais Charles d'Amboise, à la cuirasse rouge et dégoulinante de sang, veillait. Les yeux exorbités et la bave aux lèvres, il hurlait comme un damné : « Tuez... tuez ! ».
SOUDAIN UN MAL VIOLENT LE TERRASSE
la boucherie effroyable reprit. Elle s'étendit même aux villages environnants, jusqu'aux premiers jours de l'hiver. Alors seulement, Charles d'Amboise quitta le pays pour rejoindre Louis XI, son maître, qui en fit son conseiller et le nomma gouverneur de Bourgogne. Fin 1480, Charles décida de gagner son château de Chaumont-sur-Loire pour y donner une fête. Comme il approchait de Tours, un mal violent le terrassa soudain. Ses hommes le conduisirent dans un manoir voisin. II s'alita, ruisselant d'une sueur fétide, et se mit à pousser des cris épouvantables. Son agonie, horrible, commençait. On ne l'approchait qu'à grand renfort de signes de croix, ce qui semblait d'ailleurs augmenter son angoisse et ses souffrances. « II se tord, rapporte un chroniqueur, comme s'il était la proie des flammes.
IL REFUSE LES MOINES VENUS L'EXORCISER
Agonie bien moins naturelle : Charles le Satanique émettait des plaintes étranges, à mi-chemin du cri d'un porc qu'on égorge et du hennissement d'un cheval emballé. II refusa les médecins venus l'ausculter et repoussa les moines désirant l'exorciser à grand renfort de crachats et de blasphème. II hurle des phrases sacrilèges, « insulte Dieu, injurie le saints, outrage la Vierge et maudit le pape ». Le 14 janvier 1481, après une ultime crise de convulsions qui le jette pratiquement hors du lit, Charles d'Amboise meurt. Un rictus abominable et repoussant s'inscrit sur son visage : personne n'accepte de veiller sa dépouille. Cette mort terrifiante, survenue au moment premier anniversaire de la "boucherie" de Dole, passa pour une justice immanente décidée par le Ciel pour châtier le bourreau des Comtois... Vint le jour de l'enterrement. Charles d'Amboise était conseiller intime du Roi, gouverneur général de l'lleâefrance, de la Champagne et de la Bourgogne. A ce haut dignitaire il fallait des obsèques solennelles. Elles eurent lieu dans l'Eglise des Cordeliers. II y avait là princes, pénitents en cagoules, abbés mitrés, représentants des corporations, échevins, etc. Et en tête de tous, l'évêque d'Albi, propre frère du défunt. Un cordelier fut chargé de dire la messe des morts.
LE CERCUEIL ETAIT VIDE !
Au moment de la consécration, à la grande stupéfaction de l'assemblée, l'officiant se mit à gesticuler, à agiter les bras comme s'il voulait chasser une présence invisible. A plusieurs reprises, il descendit, remonta les marches de l'autel en trébuchant et s'immobilisa enfin, adossé au tabernacle. A ce moment, une voix, qu'il est le seul à percevoir, lui glisse à l'oreille « Arrête, prêtre, arrête ! Ta messe est inutile ! Sans objet ! Risible... Ce damné est déjà chez moi, corps et âme... A quoi bon bénir un cercueil vide !... Car ce cercueil est vide !... Vide ! » Le cordelier croit voir un personnage grimaçant. Livide, ses jambes le supportant à peine, se signant, il descend les degrés de l'autel, s'avance jusqu'au catafalque et s'écrie enfin « Ouvrez ce cercueil ! L'évêque d'Albi a beau s'interposer, la résolution du cordelier ne faiblit point : « Ouvrez ce cercueil Je ne continuerai de dire cette messe qu'après avoir acquis la certitude que le corps du seigneur d'Amboise est bien là... Finalement, les gardes relèvent le drap mortuaire et ouvrent le cercueil : celui-ci est vide... II y eut dans l'assistance une panique telle que l'on faillit s'étouffer aux portes du sanctuaire. Jamais on ne retrouva le corps de Charles d'Amboise.
Source : http://www.alchimia-magazine.com/dole.htm
igounette