L’énigme du château de Montségur
Un trésor, un culte solaire, des cathares sacrifiés. Située en Ariège, cette forteresse en plein ciel n’a pas encore livré tous ses secrets.
On la surnomme la citadelle du vertige. Vue d’en bas, la forteresse semble accrochée en plein ciel, déposée par magie sur un piton rocheux inaccessible. Depuis huit siècles, à chaque solstice d’hiver, le premier rayon de soleil à l’horizon la traverse dans toute sa longueur. Au solstice d’été, les deux meurtrières du donjon se trouvent elles aussi parfaitement transpercées par le faisceau lumineux. Quel pouvoir sacré les hommes ont-ils prêté à cette « montagne sûre » – Montségur en langue d’oc – pour s’y y être installé en dépit de ces difficultés, dès le néolithique ? S’agit-il d’un temple solaire ? De l’abri du Graal ?
Pour l’atteindre, on s’engage sans frémir pendant une vingtaine de minutes sur un sentier qui serpente au milieu de bois sombres. Les premiers contreforts des Pyrénées se dessinent, laissant en contrebas le village de Montségur, une centaine d’âmes aujourd’hui. A 1.200 mètres d’altitude, au sommet de ce pain de sucre baptisé « pog », une large porte permet de pénétrer dans le château. Un édifice de 700 m2 où plane encore le souvenir des structures défensives, des maisons, des écuries de ce village fortifié dans les premières années du XIIIe siècle.
« Synagogue de Satan »
C’est à cette époque que se cristallise la légende. Tandis que l’Inquisition étend ses griffes à Toulouse, Montségur devient « le point de rendez-vous de tous les « bonshommes », le dernier refuge face à la marée montante de la répression », relate l’écrivain Olivier de Robert. Les « bonshommes » ? Ce sont les adeptes de la religion cathare. Issue du christianisme, elle prône un ascétisme rigoureux et se fonde sur une théologie manichéenne. En 1232, le village perché devient la capitale de l’église cathare : il abrite près de 500 croyants pourchassés par l’église catholique, qui ne peut accepter l’expansion de ces hérétiques. On compte des religieux (les parfaits), des marchands, des nobles, des hommes d’armes, des familles…
Après trois assauts infructueux contre cette « synagogue de Satan », en mai 1243, le sénéchal de Carcassonne, Hugues des Arcis, entreprend de l’assiéger. Il faudra dix mois à sa troupe de 6.000 à 10.000 croisés pour venir à bout de la résistance cathare. Au début de l’année 1244, une trêve de quinze jours leur laisse le choix : abjurer leur foi ou finir au bûcher, édifié en contrebas de la forteresse. Près de 230 bonshommes et parfaits se jetteront dans les flammes. Aujourd’hui, le « Prat dels Cremats », le champ des brûlés, est signalé par une stèle au bas du rocher. Ainsi, Montségur, ultime refuge de la foi cathare, devient aussi son tombeau. A la fin du XVIIe siècle, la forteresse sera délaissée, avant d’être classée monument historique en 1875, ainsi que le « pog » qui l’accueille.
Berceau du Graal
Désormais, l’endroit ne cesse d’aiguiser l’imagination des visiteurs, des historiens comme des archéologues. Car de nombreuses énigmes persistent. Comment expliquer ces quinze jours de trêve réclamés par les cathares avant leur sacrifice ? S’agissait-il d’une préparation spirituelle ? Du temps nécessaire à l’édification du bûcher ? Ont-ils attendu le jour de l’équinoxe du printemps, date d’une de leurs fêtes religieuses ? Et pourquoi n’a-t-on aucune trace de cimetière pour les fidèles décédés de mort naturelle avant le siège du château ? Trente grottes ou cavités calcaires, pouvant receler une nécropole, ont déjà été explorées dans le piton rocheux, sans succès.
Les entrailles du Montségur abriteraient surtout un autre mystère, sonnant et trébuchant celui-là. Selon les récits anciens, l’église cathare possédait en effet un riche trésor. Parmi ses joyaux, le Graal, la coupe dans laquelle Joseph d’Arimathie aurait recueilli le sang du Christ. Pour certains, ce trésor aurait été sauvé juste avant la reddition, et transmis in extremis à des communautés cathares à l’étranger. Mais cette hypothèse n’a jamais calmé les ardeurs des curieux en tout genre – même celles des nazis ! En 1933, sur ordre d’Heinrich Himmler, Otto Rahn, écrivain et archéologue allemand, s’établit ainsi près du château avec une équipe de scientifiques pour en trouver la trace… En vain.
« Calendrier astronomique »
Si de nombreux indices archéologiques ont disparu, depuis 1968, les scientifiques exhument peu à peu des traces de l’ancien village fortifié. Mais la construction du château et sa forme pentagonale, non géométrique, restent inexpliqués. Pour l’historien Fernand Niel (1), la forteresse de Montségur constitue une sorte de « calendrier astronomique », signalant l’entrée du soleil dans chaque signe du zodiaque. Son plan, affirme-t-il, est d’ailleurs calqué sur la configuration de la constellation du Bouvier, le donjon occupant la place de l’étoile Arcturus.
Qu’il s’agisse d’un hasard – on n’y croit peu ici –, d’un symbole voulu par ses bâtisseurs ou d’un signe sacré, le château se peuple encore de visiteurs à chaque équinoxe d’été. On murmure que des druides s’y réunissent. Mais la tragédie cathare et ses mystères ont aussi fasciné nombre d’artistes, dans des registres parfois inattendus ! Le groupe de heavy metal Iron Maiden a ainsi puisé son inspiration dans les récits du sacrifice des bonshommes pour composer une chanson intitulée Montsegur, sur leur album Dance of Death. Une ultime danse pour les morts qui hantent à jamais la mémoire de cette montagne magique.
Source : http://www.francesoir.fr/midi-pyrenees-l%E2%80%99enigme-du-chateau-montsegur-56024.html